clichés #1


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le fleuve et le ciel confondus d’un même gris et toi tache bleue filante comme sur la route
quelques bateaux perdus de remonter le fleuve croisant juste des troncs au sens inverse arrachés aux rives
villes reconstruites en bord de seine scènes reconstruites en bord de ville et toi de filer sans y prendre gare
le port devant immense taché de mille conteneurs et ponctué de grues aux bras de géants
la poussière du charbon de la centrale au gris déjà se mêlant
tu n’y arrives pas par hasard rien ne t’y mène tu y vas c’est comme ça un pas l’auto un poids lourd t’y dépose t’arrachant à la ville t’en écartant
l’odeur simple te situerait suffirait à faire exister chacune des choses qui t’entourent qualifiant l’espace comme lieu celui où celui dans lequel et toi d’y ressentir les masses se soulever les monstres d’acier se déplacer juste les yeux fermés sans même entendre un souffle un battement un bruit
les yeux ouverts tout se donnerait et le bruit tu l’entendrais pareil et les odeurs à plein nez alors c’est les yeux clos les mains sur les oreilles que tu avances suivant les reliefs du sol les traces d’usage
tu y es debout démuni entouré comme isolé pivot d’un monde invisible et noir mais un monde prégnant envahissant qui t’enveloppe t’habille oui l’espace t’habille te revêt te représente comme ces vêtements que tu portais ou crois porter
l’air ici il n’y en a pas pas plus que d’espoir rien pas là pour ça ni lui ni toi et ta main de parcourir le vide mouvements perdus les bras en avant te protégeant tu aimerais mais tes mains pour ne pas entendre alors rien pour découvrir ce en quoi tu es
de l’air y en avait en son temps mais ça passe et quand l’air est chargé on ne l’appelle plus ainsi on le dit irrespirable étouffant à en mourir mais personne ne meurt plus là depuis longtemps ou très discrètement
et tu y es pas eu d’autre choix tes pas juste eux tu vas ouvrir les paupières voir la lumière et elle de t’éblouir et toi de ne rien voir de mieux comme ça juste le blanc à la place du noir la brillance l’éclatement
tu as ouvert les yeux et le monde en même temps
tes pieds se sont arrêtés une chose à la fois une seule la lumière maintenant et toujours les mains pour ne pas entendre comme pour éclaircir la situation apprends à trier et après tu verras
le blanc s’évanouit se fondant dans une grisaille qui découpe chaque chose maladroitement comme si les limites étaient progressives les choses une et le monde de te dire ça
et le point se fait toi au centre et le reste autour de tourner et chaque chose de se dessiner le mur et son béton le sol et ses rails les quais et les grues et la poussière comme suspendue et le port d’exister mais tu avais deviné l’avais déjà en toi
un semi-remorque franchit l’horizon et l’espace de se courber comme ton dos et de se retendre étirement des choses au-delà de ce qu’elles semblent être paraissent sont
un tapis file au-dessus de toi noir de charbon et de bruit et de le porter au tas comme à l’abattoir le pousser au four le cuire en tirer le rouge et les autres couleurs avant d’électrifier la ville
des remorques partout autour sorte d’insectes morts posés au sol cimetière de métal ferraille attendant on ne sait quoi d’autre que la rouille du temps et du sel et du charbon
l’eau tu la vois bras de mer dedans entrant la terre perçant ce sol lourd de l’activité des hommes aux grasses poussières et voir ce mur à nouveau ce mur voile de béton feuille de ciment aux lettres dessus inscrites comme tout désignant
impossible de s’arracher au sol trop pesant qu’il est comme si à lui seul tout il portait traces et histoires et tes pas de ne pas t’emmener immobilisé et les masses de fer autour de bouger de définir le vide comme le plein
l’eau tu la vois mais n’y vas pas à quoi bon s’avancer tant le port est déjà vrai ici sur ce quai alors tu retires les mains de ta tête et un bruit sourd t’envahit avec la lumière et le gris
tu tombes
la terre des hommes est là
un mur surmonté d’un barbelé et la presqu’île d’être coupée en deux réservant une zone de ton regard mais son bruit de l’entendre de te prendre engins déplaçant des pelletés de charbon de part en part
et l’eau le long de l’apporter le noir de le poser au quai
au loin c’est pareil les cuves cylindres de fer aux couleurs des eaux d’ici de se décaler collier de perles aux polluants issus des sols moins rare que l’air respirable et l’horizon de garder comme secret ce sang aux reflets de mouche
et l’eau le long de porter le fer le porter en mer vide de son poids déposé à tes pieds et toi tant de peine à avancer et tout alentour de s’ancrer
pourront toujours détruire les monstres de béton les murs anti-vent les grues de métal rien ne remplacera jamais ce sol comme sur la plage le sable
tu entends la ville au loin et en vois la côte qu’une percée dans le ciel gris éclaire comme un décor sur la scène d’un théâtre et tout là de briller et toi et le port de rester dans l’ombre pesanteur que même la lumière ne contre
s’arracher au sol objectif atteint ton pas t’emmenant et le noir du seuil de venir ensommeillé à ton pied et toi de porter cette histoire à laquelle tu ne peux rien ni n’a jamais participée pourtant tu en mesures la charge comme sur tes épaules et te tire pour affronter mais quoi
le soleil tape ton dos maintenant chauffe l’air et les couleurs jaune noir et vert de ressortir et le bruit d’accompagner chaque valeur d’un mouvement associé et toi de participer avancer avancer encore aller vers le nord ne jamais l’atteindre juste tenter de s’en rapprocher
il y a ces bâtiments dans le port comme dans une ville des blocs aux fenêtres murées dont on doute qu’elles aient un jour eu d’autres fonctions que la simple lumière sur la machine et l’homme à côté de s’y pencher comme ruines aux secrets cachés
et des numéros presque neufs les chiffres impassibles aux années
tu lèves la tête lampadaire immense quatre projecteurs intactes et des fils de tendre le ciel comme pour l’éclairer lacérant le gris et le blanc de fins traits répondant aux lignes blanches du sol régulièrement espacées de cadrer les remorques stationnées
ça pourrait être un parking de supermarché ou d’un multiplex péri-urbain juste les véhicules qui changent mais l’espace le même et autour des enseignes comme des boutiques chaînes inscrites sur les portiques et les grues et la matière première qu’on commerce comme partout aujourd’hui
la mort est là pas besoin des hommes et eux de la répandre en chaque chose qu’ils ont aimé on abandonne que ce qu’on a porté et le port autour de toi d’en avoir l’odeur comme un corps oublié
au bord du vide tu t’arrêtes effrayé l’horizon n’est plus que mur et percées peinant à trouver réelle échappée
et la lumière au loin de revenir te plongeant dans le contre jour et le port de sombrer et le sol de te reprendre de sa poussière noire
où sont-ils tous et le sol d’en porter traces comme les murs les voix
rien ne pourra effacer ça la lutte la lueur le leurre et finalement au bout leur mort
lève la tête et quoi tu ne comprends pas qu’ici plus rien n’est beau que ces choses restées ne valent rien à devoir garder fallait les sauver avant et ils ont lâché
tu vois les traces comme à chaque disparition celles du fret celles des camions celles des cargos amarres en place protections flottantes mur anti-vent de la taille du volcan
et eux de ne pas comprendre
faudrait tout raser effacer les preuves rebâtir repartir assainir le sol planter des arbres des centaines d’arbres comme témoignage mais nettoyer cette trop large mémoire
le sol toujours de te retenir mais n’en a que faire c’est toi qui est étranger et lui de vouloir figer en toi cette suie charbonneuse comme sur lui déposée
comme si le sol le voulait se vengeait
la ville au loin et le port comme abandonné routes immenses et droites tirées silos de béton au grain de peau grossier terrains stériles lune terrestre fusées ancrées et des mâts et des tours phares de pointer le ciel éperdument
la ville on la rénove la nettoie de ses parasites parents pauvres prisonniers chômeurs au temps indéfini on lui jette des lignes de transport rapide des vitrines éclairées et des touristes bien conduits
n’en n’a que faire la ville de la misère et du port
tu la vois de là elle va bien se relève de ses cendres accepte son béton sa rigueur devient une chance quand on sait la prendre et si le port meurt le sport gagne la partie et le stade d’étaler un bleu cobalt sur les anciens triages au moins ça rapportera
et toi de t’enfoncer les poumons lourds les pieds ancrés les yeux inondés et la mer de monter devrait tout recouvrir devrait tout enlever
faudrait une vague une seule qui de la main passerait le voile et le temps de disparaître en ce lieu qui n’a plus d’hommes pour le voir seules des machines comme des avoirs
le port finit la seine alors la ville commence et d’être perdu dedans
et voir l’écluse au nom royal s’ouvrir un bateau la quittant
rien à gagner ici ni même l’envie de jouer dans ces quartiers loin du centre que plombe la pauvreté barres au milieu du port isolées
et les nouveaux centres commerciaux de faire surface glissés dans des docks rénovés comme tes illusions perdues
tes jambes se plient tu t’écroules et pourquoi pas toi tu t’assois sur la terre noire en prends à pleines mains elle te recouvre t’embaume
le vent souffle sur le port à finir de le mettre à terre à le faire prendre la mer à le mener au large
le vent souffle sur le port et nous d’en parcourir une dernière fois la marge

clichés a été écrit en 2012 et illustré par géraldine trubert en 2013
le texte complet comporte 20 boucles et 20 dessins
cette boucle est la première
ce texte a été publié le 26 février 2012 sur le tiers livre par françois bon

© texte & dessin emmanuel delabranche & géraldine trubert



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écrit ou proposé par : Emmanuel Delabranche
Licence Creative Commons (site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
1ère mise en ligne et dernière modification le 7 juillet 2013.